PATRIOTE-COTE D’AZUR DU 13/1/95 AU 19/1/95
A LA TRINITÉ
RENCONTRE AVEC MIGUEL
P.C.A. : Martin Miguel, nous venons de contempler une quantité impressionnante de diapositives : des travaux de toutes sortes sur le support, le vide, le tissu, le béton, la grille, l’élément de fenêtre, le tout présentant à mon humble avis une indéniable unité, dans une évolution constante. L’aspect coloré de cette somme est loin d’être négligeable. Il s’agit d’une création abondante et riche, absolument personnelle. Quelle en fut l’origine ?
MARTIN MIGUEL : « Yves Klein. Mon interrogation première, par rapport au monochrome et à l’œuvre de Klein fut "Que faire après un monochrome" ? Le monochrome renvoyait le regard vers l’extérieur, d’où ma solution pour le dépasser de plonger la peinture dans l’espace...
« J’avais un rectangle peint recto-verso dans lequel je découpais un cercle qui, extrait du rectangle, se situait en projection à l’opposé. J’appelai cela l’espace mental car il existait
entre deux réalités tangibles. »
P.C.A. : Ce fut un point de départ (la peinture dès lors dans l’espace). Des successions de travaux indiquent de grandes étapes. Pouvez-vous les énumérer ?
M. M. : « Les tableaux qui ont envahi l’espace sont nés en 1968. Il Y eut ensuite la période des « dessous de la peinture ». A savoir que dans la peinture traditionnelle une couche masque l’autre durant l’élaboration, tandis que moi je les dévoile. Je superpose et juxtapose des tableaux monochromes. La peinture se regarde par sa surface et par son épaisseur.
Puis nous arrivons à cette peinture à deux mains. La trace du pinceau se dédouble et chacune porte en soi une figure de l’autre, chacune est le modèle de l’autre. Je prends un parallélépipède et je peins l’angle en le déplaçant sur un support. Le pinceau marque en même temps le parallélépipède et le support plan. Je peins donc dans l’espace tridimensionnel avec deux outils, mais dont l’un est montré puisqu’il est aussi lieu d’Inscription. Je joue, dans ce type de travail, sur la modulation des temps de déplacement des bras déterminant ainsi l’image et son format d’inscription. Je joue des statuts de la peinture (support, outil, modèle, figure, objet plastique, espace).
Vient ensuite la période des essuyages. Elle s’explique par la découverte des supports souples du fait de la détension de la toile (sans doute y a-t-il réminiscence du nettoyage des sols sur les chantiers de mon père, peintre en bâtiment). L’objet dur (branche ou galet) est peint. Je peins et j’essuie plusieurs fois en changeant les couleurs puis je déploie la toile et la noue parfois pour assembler les éléments durs. La polychromie provient des monochromes successifs. C’est la mise en relation de deux mouvements d’éléments, un souple et un dur au profit d’une balade des couleurs d’un élément à l’autre. Il en résulte une profusion de rencontres, traces d’un habillage de l’espace.
Les enrobages, eux, interrogent la figure. Du papier morcelé vient envelopper, recouvrir le modèle (objet ou lieu). La couleur y est déposée en fonction du rapport familier que l’on entretient à l’objet (empreintes de mains, de corps...). L’ensemble est ensuite déployé, mis à plat.
Ce qui me parait important c’est que dans cette décomposition/ recomposition de l’espace pictural (toile, châssis, couleur), la figure est prise en compte et participe à la recherche de nouveaux espaces représentatifs.
Quant au béton, l’alter ego de la couleur, il la densifie. Après sa propagation, son déploiement dans l’espace volumique, elle se concentre en un volume parmi les volumes. Elle se niche et se love dans le mur. Elle devient objet et figure d’objet : il s’agit bien d’un morceau de bâti et c’est un souvenir de tableau et ce tableau est un rêve de ville et ce rêve est un rêve de ciel ou un rêve de nuage ou de feuillage ou de femme ou de... »
P.C.A. : Relativement à l’emploi de la couleur, ne crée-t-elle pas à votre insu une apparence esthétisante ?
M. M. : « Toute couleur, ou rapport de couleurs, a un aspect esthétisant si on n’en perçoit que l’effet. Un coquelicot dans un champ d’herbes ou inversement accrochent l’œil mais ce n’est pas de la peinture. La peinture montre l’idée qu’on se fait de la couleur. Je fais des œuvres parce que j’ai des idées et j’ai des idées parce que je travaille et regarde autour de moi. Cependant, je ne sais pas toujours ce que je suis en train de faire. Si ce travail accroche le regard et la pensée tant mieux ! »
P.C.A. : Martin Miguel, vous avez accompli beaucoup d’actions vis-à-vis des jeunes, notamment dans le public scolaire. Quel est le sens de vos interventions ?
M. M. : « La peinture est une construction humaine. Elle participe à la construction et à la maîtrise des espaces dans lesquels nous évoluons. Elle construit de l’humanité. Le peintre se doit d’aller à la rencontre de ceux à qui la peinture s’adresse, c’est-à-dire tous et particulièrement les enfants parce qu’ils sont en cours de structuration. Cela peut se faire dans des actions qui peuvent aller bien au-delà de la simple présentation des œuvres. Ça n’a jamais été facile, et ne l’est pas toujours, pour moi, mais c’est nécessaire et je crois que bien des choses, sinon toutes, sont entrelacées dans les mailles du langage, alors... il faut en reparler. »
P.C.A. : Que pensez-vous du marché de l’art ?
M. M. : « Peu de choses. Je ne m’intéresse pas au marché et visiblement il ne s’intéresse pas à moi. Je ne sais pas faire là dedans. Ceci dit j’ai souvent rêver d’en retirer quelque argent ne serait-ce que pour me payer un grand atelier. J’en rêverai encore. La pratique artistique ne s’entend pas avec la préméditation de réussite, elle s’entend avec le travail. Elle demande l’engagement, la persévérance et le risque de l’oubli mais, de toute façon, elle offre du vivant. »
Propos recueillis par
Michel GAUDET